L'industrie productiviste
Il semblerait que deux visions de l'industrie s'opposent :
- une vision de l'industrie comme un horrible moyen d'engraisser encore plus les puissants de ce monde prétextant apporter un certain confort à l'individu humain
- une vision de l'industrie comme un moyen à haut rendement d'améliorer la vie humaine (le savoir, le confort, la culture...)
On trouve évidemment moult exemples dans les deux visions. Ces visions dépendent beaucoup de la définition d'amélioration de la vie humaine et de confort, et cette définition diffère chez tous les individus. Nous voilà bien avancés. Pour s'éclairer, il convient d'appliquer sa propre vision d'amélioration de la vie et de confort individuel à toute l'espèce humaine aujourd'hui. Si on y arrive et que ça semble fonctionner dans le respect de 99% des autres espèces animales, il semble nécessaire de parvenir à l'application de ce système en moins de trente ans. Ce serait une très belle avancée pour l'humanité mais j'émets de forts doutes là dessus.
A propos de l'industrie, voici donc une vision des choses :
L’industrie n’est rien d’autre que la mise en commun de nombreux savoirs pour la distribution du produit de ce savoir au commun, à tous.
L’industrie implique donc un « commun », et plus ce « commun » sera grand, plus la production pourra se spécialiser, et donc le produit s’améliorer et le rendement n’en sera que meilleur Chacun participe donc à l’industrie au sens large dans sa spécialité (la conception de digue en milieu torrentiel, le suivi des travaux de construction des télésièges, l’accrochage de plaques métalliques servant à protéger des transformateurs électriques…). Chacun, grâce à sa participation se voit offrir le prix de sa liberté, celle de consommer les produits de l’industrie nécessaires à sa vie et à son travail (industrie agro-alimentaires, industrie textile, industrie pharmaceutique, industrie automobile, industrie électronique…).
Appliquons donc le principe industriel sur le modèle de l’industrie occidentale à la planète entière. On aurait alors un Etat mondial d’une dizaine de milliards de personnes, chacune participant à sa spécialité et se voyant offrir en échange de quoi recommencer le lendemain (bouffe, transport, costume, distraction…) Jusque là tout va bien, tout fonctionne, c’est merveilleux.
Mais on se heurte évidemment aux problèmes suivants :
1 – L’industrie nie l’individu, en tout cas l’individu n’est pas (n’est plus) son but. En offrant des produits industriels en échange de son travail de spécialiste, on réduit son individualité à ne s’exprimer qu’en dehors du travail d’ultra-spécialiste. Et est-ce être individualiste que de dire que l’individu n’est pas une spécialité industrielle mais une généralité avec quelques spécialités ? On réfléchira alors à une taille industrielle qui permet de fournir suffisamment de bien être (livre, sauces tomates, bicyclettes, chemises…) tout en gardant, et c’est important, un individu suffisamment généraliste.
2 – L’application de ce modèle tel qu’elle est faite aujourd’hui produit de telles inégalités entre les êtres humains (inégalités sociales patron/ouvrier, inégalités spatiales suédois/congolais) que le service que l’industrie est censée rendre le rend toujours au même. Par exemple, l’industrie du jacuzzi rend un service (besoin non-naturel non–nécessaire soit dit en passant) à certaines personnes uniquement.
3 – L’industrie, si elle a apporté un progrès indéniable dans certains domaines, nourrit surtout l’industrie elle-même. L’industrie de l’automobile existe car la répartition spatiale des industries ne permet pas le déplacement à pied. L’industrie téléphonique puis l’industrie informatique a permis l’accélération de toutes les industries. Il est entendu ici que ces industries ne produisent aucun bienfait sur l’individu lui-même. Heureusement, on a quand même des industries pas trop mal : le dentifrice, le savon, le papier qui n’apportent rien à l’industrie mais beaucoup à l’individu. On a aussi des industries qui font les deux : l’industrie électrique accélère et améliore toutes les autres industries et permet à l’individu de vivre la nuit et d’occuper plus de temps à ses loisirs qu’aux tâches qui lui permettent simplement de travailler. …On pourra tout de même réfléchir à ce que l’électricité (et l’ordinateur, la télévision, et ces gadgets électriques) ont apporté au sommeil humain…
4 – L’industrie, toujours au sens de la grande mise en commun des savoirs et des compétences spécialisées, a un coût énergétique très fort et un impact non-négligeable sur la planète. Inutile de décrire l'impact de l’industrie de la production électrique aujourd'hui sur l'atmosphère, les sols, les paysages...
5 – Nous sommes presque dix milliards d’humains sur la Terre, et l’industrie astronomique n’a pas encore trouvé d’autres endroits où faire proliférer nos industries. La moindre des choses de la part de la réflexion industrielle serait de mettre en commun les industries et d’appliquer à toute la planète son mode de vie de spécialiste qui permet tant de confort et de liberté. Toute réflexion sur le mode de vie doit être analysée en prenant en compte les presque dix milliards d’humains. Il apparaît alors, pour ne pas parler de décroissance et de Grande Crise Mondiale, qu’il faut que la sainte science humaine se dépêche de trouver comment produire de l’énergie à gogo sans le moindre impact avant que tout le truc n’explose.
Avant que ne se développe trop l’industrie écologique (éolienne, photovoltaïque et tout le bazar) qui ne ferait que grossir encore ce joyeux bouzin, l’humain pourrait réfléchir sur ce principe même de spécialisation des savoirs censés améliorer le confort et le rendement de la vie de « l’humanité ». N’est ce pas priver l’individu de liberté que de le spécialiser à outrance en le privant par là même de milliers d’autres savoirs et compétences ? N’est ce pas priver l’humain de sa santé en lui donnant un médicament qui réduit l’effet indésirable d’un autre médicament, ou d’une autre industrie (celle de l’automobile par exemple)?
Cette fuite en avant de l’industrie met justement en avant la nécessité de trier le nécessaire du superflu et dans le superflu, trier l’acceptable de l’inacceptable. On pourrait alors mettre la santé ou l'éducation dans le nécessaire Ce ne sont pas (encore) à proprement parler des "industries" d'ailleurs, dans notre pays en tout cas. D'ailleurs, rien qu'en supprimant nombres d’industries superflues inacceptables dépendant de l’électricité et nombres d’industries superflues inacceptables dépendant du pétrole, la santé s’en trouve déjà améliorée... Pour revenir sur l'exemple initial qui était le lait industriel pour bébé, on est tous d'accord que c'est du superflu (car le lait se fabrique naturellement dans la moitié des humains). J'espère aussi qu'on est tous d'accord pour dire que c'est acceptable (moindre impact sur la santé, moindre mal sur les seins, moindre dépense d'énergie et de temps individuel, impact faible sur la planète comparé à toutes ces industries superflues inacceptables que sont le 4x4 urbain, l'immense maison en parpaing, le téléphone en uranium, ou la télévision et que nous utilisons tous les jours).
En guise de conclusion, ouvrons sur deux points :
Un point (de vue) philosophique
J’ai appris durant ma scolarité que l’humain ne pouvait pas concevoir l’infini et était coincé entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Vivre dans un monde dont on ne comprend rien ou pas grand-chose (à part sa spécialité), si ça peut être une conséquence du progrès de « l’humanité » n’est sûrement pas un progrès pour l’individu. Personnellement, je suis en train d’utiliser un ordinateur. A part l’interface avec mes sens qui est faite pour que je m’en sorte, je n’y comprends absolument rien et il me faudrait un mois de cours intensif pour entrevoir le fonctionnement du machin. Pareil pour le moteur de 4x4 urbain, pareil pour les procédures administratives, pareil pour tout. Ce sont des parties infiniment petites d’une humanité infiniment grande. Difficile également de se projeter dans tous les pays du monde avec les moyens physiques humains (pieds et jambes), difficile de concevoir dix milliards d’individus répartis sur une planète qui devient trop petite, alors qu'on la voyait infiniment grande il y a seulement 300 ans. Ces difficultés de l’individu ne le mettent pas dans de bonnes conditions pour vivre une vie saine d’esprit dans une société mondiale. L’individu mondialisé qu’est l’occidental se voit d'ailleurs accablé de maux nouveaux que sont la dépression, le stress ou le suicide.
Un Petit plaidoyer anarcho-autonome
Pour quitter cette mise en commun mondiale (ou presque, moitié au double), rien ne sert d’attendre une quelconque prise de conscience du système industriel, qui se satisfait parfaitement tout seul (tant que des spécialistes seront là pour l’entretenir). L’échelle idoine doit se réfléchir, s’appliquer et s’observer (car il en existe certainement quelque part sur cette bonne planète) au travaers d'expériences multiples et variées.
A une échelle correcte, « l’industrie » pourra subvenir aux besoins vitaux et culturels de l’individu tout en permettant à un groupe de proches (famille, communauté, village…) d’avoir une petite connaissance de toutes les industries. Il ne me paraît pas insurmontable d’être spécialiste dans la menuiserie et de connaître ou d’avoir des proches qui connaissent les bases de la médecine, de la soudure, de l’optique ou de la culture des céréales.
D'ailleurs, je vous conseille cette conférence gesticulée. Si la première heure vous embète, allez voir la seconde (vers 1h25), il s'y dit des vérités qu'on ne pense pas assez. http://www.youtube.com/watch?v=SpDAoOUkfo8