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El chico loco
27 mai 2013

Le vélo

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Et un jour, bizarrement, je me suis mis au vélo. Non pas le vélo pour aller au boulot, le vélo. Le vrai vélo. Celui où il faut mettre des trucs moulants, des lunettes aérodynamiques et surtout de toutes les couleurs avec des reflets arc-en-ciel, des gants avec des trous au bout des doigts et des chaussures impossibles à marcher. Malgré ça, inutile de vous préciser que mon allure n'avait rien à voir avec un coureur du Tour de France. Voici pourquoi.

Non seulement quand un fondeur (ou un skieur de fond) fait du vélo, il respecte scrupuleusement les règles suivantes :
1- il ne se rase pas les jambes, ça jamais. C'est ce qui le différencie, con qu'il est, du reste de population roulante. Ainsi, en cas de blessure, il  pourra souffrir de ses poils en plus de sa blessure.
2- il ne met pas de gants troués au bout des doigts censés protéger les mains lors d'une chute
3- il ne roule que rarement en dessous du seuil lactique. Vu que je fais pas de dictionnaire ici, on dira qu'il appuie sur les pédales comme si c'était le dernier kilomètre d'une course, même s'il lui en reste une centaine. Après ces trois points, vous l'aurez compris, le fondeur est quelqu'un de pas bien évolué qui se fiche de tout, s'en prend plein la gueule, et recommence.

Mais en plus de ça, j'avais gardé mon bon vieux maillot et mes bonnes vieilles chaussures que j'avais au lycée. A voir les autres (même fondeurs) qui roulaient avec moi, j'ai cru comprendre que le matériel avait évolué. Leurs chaussures sont vachement belles, avec des petites manettes partout. Mais le mien, achetté par mes parents à l'époque, fonctionne bien, merci, "vous verrez dans les côtes". Mon vélo pèse 4 kilos de plus que les vôtres? "Alors ça risque de vous faire encore plus bizarre de le voir partir devant dans les cols!" Ils m'énervent tout ces cyclistes qui regardent leurs vélo, leurs cuissards et leurs compteurs. On est des fondeurs merde! On n'est pas là pour se regarder! Une fois qu'ils sont plus sur leur vélo, ces fondeurs qui ont oubliés les trois commandements cités plus haut, tapotent sur leurs portables haïteck, rêvent de grosse bagnoles et de superbes fringues, laissant au passage un salaire entier, le leur ou celui de leur parents. Bref, dis-je avec assurance et une certaine condescendance, mes enfants, c'est pas le matériel qui compte, c'est le bonhomme qui le met. 

Dans tous les sports on rencontre ces mêmes personnes, même dans les refuges de montagne les plus perdus, il y en a qui sont à montrer leurs mousquetons comme leur nouvelle rolex, en vous expliquant pourquoi ce matériel est vraiment le meilleur et qu'en face, on dit "oui" poliment en se grattant les oreilles et en regardant à droite et en pensant plutôt au repas qu'on va bien pouvoir nous servir, et de quel jaja on va bien l'accomoder.
Bref, revenons à nos vélo car une fois qu'on roule, les petites joies sont nombreuses :

- traverser un village en se faisant saluer par le petit vieux à béret qui fait son jardin

- traverser un village en se faisant saluer par un type au bar qui boit son ricard

- traverser un village, traverser un village quoi.

- prendre l'aspiration sans pédaler et se rendre compte que celui de devant en chie comme un russe

- comprendre que celui de devant va s'écarter et qu'il va falloir mettre un peu de lactique dans les cuisses. 

- mener un groupe en côte et se rendre compte que dans le groupe, on est tout seul et que tout le monde "a pété"

- attendre les autres en haut du col avec un grand sourire

- arriver en haut du col suivant en voyant ses compères sourire en haut.

- pencher dans les virages en descente

- rouler au soleil et voir un rideau de pluie s'approcher inexorablement.

- doubler les voitures, évidemment.

- avoir des sandwiches qui sautillent devant les yeux à la fin d'une sortie un peu sportive.

 

 Un matin, je savais pas quoi faire pendant la grasse matinée de mon amoureuse, la météo annonçait grand beau et même si on s'était couchés tard (voire même tôt le lendemain), j'ai décidé de mettre mon réveil à 6h30. C'était dimanche et ça change pas, ça m'arrive trop souvent de jouer à ce genre de connerie. La sérénité appartient à ceux qui se lèvent tôt, me dis-je en moi même comme pour me justifier. Enfin quand le réveil sonne et qu'on a l'impression qu'on vient juste de s'endormir, la sérénité, j'avais envie de lui dire d'aller voir ailleurs. Et puis, mine de rien, la sérenité m'a mit un coup de pied au derrière pour que je sorte du lit, je me suis retrouvé, mécaniquement, debout devant 4 pains aux chocolat et un café en train d'étudier une carte, chose que j'aurais eu peine à imaginer il n'y a pas dix minutes. L'objectif du jour, c'est la Montagne Noire, la montagne la plus au sud du massif central, avec son antenne qu'on voit toujours de loin depuis la plaine des Corbières et depuis les contreforts du Pays Cathare. Je tente d'imprimer la carte dans ma tête, je retiens le nom des villages, car ne comptez pas sur moi pour m'encombrer avec ce bout de papier, ça ne sert à rien! Le rendez-vous avec ma dormeuse est fixé à Carcassonne, au vide grenier, à midi. Evidemment, mon téléphone n'a plus de batterie, et il faut fixer un  rendez vous là maintenant, un rendez-vous qui ne bouge pas ni dans l'espace ni dans le temps, comme on faisait dans le temps, quand l'absence de technologie nous permettait d'être organisé. Trêve de critique du techno-scientisme, la principale problématique du matin se résume ainsi : comment satisfaire mon envie de découverte en allant le plus loin possible tout en étant à Carcassonne à midi? A une autre échelle, on pourrait aussi se demander : comment faire le Tour du Monde en deux mois de vacances sans dépenser de pétrole? Mes réflexions se réfléchissent dans la surface de mon café et je finis comme d'habitude par cracher sur la société, sa culture de l'expérience et de la visite, entraînant forcément des vitesses de déplacement toujours plus élevées et un raccourcissement dans le temps de l'émotion pour préférer l'accumulation des émotions. Toujours la même chose : "Oubliez la qualité! Préférez la quantité!" Finalement, je m’accommodai à ma société et j'étais paré : pompe, bidon d'eau, cookies de subsistance artisanaux, chambre à air de rechange, l'outil multifonction, parcours dans la tête. Et c'est parti pour un contre-la-montre de qualité, le parcours allait être somptueux, mais il fallait "faire une moyenne". L'échauffement a consisté à traverser la plaine de l'Aude, les vignes, les rivières, les villages soudés aux larges rues avec de belles portes cathares. Cette année, la plaine est verte. Très verte. J'adore et traverse la plaine à grande vitesse, malgré le rythme "échauffement" que je m'étais fixé au départ. A la première petite côte, j'ai pas pu m'empêcher de garder le même rythme de jambe et de l'avaler toute crue, en lui laissant un peu d'acide lactique et un morceau de poumon en souvenir. Avant de quitter la plaine et de m'enfoncer dans une vallée tortueuse, je réfléchissais à mon parcours et en voyant l'heure au clocher, je me dis que j'étais dans les temps, voire même un peu avance. Là, vous vous demandez : "Comment quelque'un qui dispose de 5 heures à peine pour visiter la Montagne Noire en vélo peut-il s'en sortir s'il n'a ni montre, ni carte, ni compteur?". Les compteurs, j'en suis allergique, ça ajoute du poids à mon vélo déjà un peu lourdaud. ça m'embête les yeux, ça me donne trop d'informations dont j'ai pas besoin. Bon, je pourrais avoir l'heure certes. J'écoute mes jambes et elles sont en forme après une semaine de repos, elles tournent toutes seules. 

 

La petite vallée aux flancs arides et méditerranéens se peuple progressivement de grands chênes et de châtaigniers. La route sinue à travers les rochers de granit qui surplombent une rivière limpide et bien remplie. Les villages au fond de la vallée se perchent sur des rochers, laissant les zones à peu près plates aux pommiers et aux foins. Cette fois, c'est franchement vert, et l'automne ici doit sentir fortement la châtaigne. En montant encore (j'avais un col à passer), la végétation changeait encore. Cette fois, je trouvais des hêtres et même des épicéas entre deux blocs de granit d'où s'échappaient des fougères. J'ai quand même pas fait 800 kms au nord pour me retrouver dans les Vosges? Mes jambes me joueraient des tours? Bon c'est vrai j'ai pas lâché le grand plateau (c'est interdit dans les cols en dessous de 5%), mais quand même! Et j'arrive finalement au col et bascule dans le département du Tarn. Des champs de toutes les couleurs remplis de fleurs sont disposés aléatoirement sur un plateau vallonné entre des hêtes et des sapins. Des ruisseaux chantent la floraison et le soleil généreux du jour. Moi, je me contente de profiter de la descente pour grossir ma moyenne, que je ne connais pas bien évidemment, mais c'est une expression. Comme prévu, j'arrive au croisement où je devrais tourner à gauche vers Castans. Par contre, ce que j'avais pas prévu, c'était que le panneau d'indication indiquait tout droit Mazamet... Mazamet.., Mazamet, qu'est-ce que c'est ça... Je tourne ce nom dans tous les sens dans ma tête : "Mazamet, mazamétains, un coureur mazamétain, le grimpeur mazametain, ce sprinteur de Mazamet..." Je le tiens! Jalabert! Et la chanson des Wampas (voir ci dessous tout en bas) me revient et me glisse clairement dans les oreilles que ça ne sert à rien d'aller à gauche et que tout droit, c'est forcément mieux. Si j'avais eu des appareils électroniques, peut-être qu'ils m'auraient rappelé l'heure d'un certain rendez-vous à Carcassonne. Mais ils n'étaient pas là! Et moi, je file vers Mazamet pour faire une Jalabert! Chason des Wampas en tête, je tourne les jambes aussi vite que Didier gratte sa guitare. J'arrive dans une large vallée entourée de vertes collines et de montagnes. La rivière au fond est agréable, le soleil donne et j'arrive à Mazamet. Comme je suis pas non plus idiot, je me contente de traverser la cité, sympathique et de bifurquer vers un nouveau col sur la gauche, à l'assaut de la montagne noire. Toujours très verdoyante, la vallée me dit qu'il serait temps que je pousse un peu sur mes pédales. Mais vers où? La nationale ne me dit trop rien, et je finis par  demander à des gens par où je pourrais aller à Carcassonne sans trop de bagnoles et sans trop monter. Les gens me répondent pleins d'entrain que y'a une route très jolie, qui suit la rivière et qui arrive à Pradelles devant les éoliennes, qu'après, il faudra que je descende du côté de Cabrespine pour rejoindre la plaine de l'Aude. En bas, il ne me restera plus qu'à traverser les vignes pour rejoindre la cité de Carcassonne mais que "Oulalaaaah, hébé vous êteus pas arrrrivé, mon garrçon". Dans ces cas là, je me dis que ça devrait quand même aller vu qu'après ça descend, que j'ai la forme et que je viens de m'enfiler 2 cookies. Dans la descente, toute la chaîne des Pyrénées blanches en toile de fond, je refais mon vocabulaire et comprend ce que signifie "tombeau ouvert". Quelques toutes petites frayeurs ne m'empêchent pas de me réconcilier totalement avec la descente, ce profil qui ne m'était plus destiné depuis ma chute quand j'avais dix-douze ans dans un virage avec des graviers. En bas, enfin un panneau "Carcassonne 15" et un clocher qui me dit qu'il faut que je sois à Carcassonne... il y a 3 minutes. Zut. Je vais être obligé d'appuyer comme un dingue sur les pédales, grand plateau petit pignon, tête baissée, mains en bas du guidon, allez, on va finir la ballade comme ça, histoire de "faire monter la moyenne" une dernière fois. Vent de face, petites côtes, aïe ça commence à brûler. Ah oui, j'oubliais, le cycliste, ajoutons le cycliste pressé, n'aime pas beaucoup les panneaux de la circulation qui indiquent une destination deux fois de suite -avec quelques kilomètres d'interdistance quand même- mais avec le même nombre de kilomètres. Il n'aime pas non plus passer un pont sur une rivière. Cela signifie qu'il est au point le plus bas de la route, et qu'inexorablement, il va finir par prendre de l'altitude quelque part, aussi minime soit cette prise d'altitude. Je devrais rouler avec un GPS, je serais prévenu de tous ces horribles imprévus qui me foutent le moral en berne. Le cycliste pressé, aussi con soit-il d'être pressé, prend tout de même le temps d'admirer la cité de Carcassonne se rapprocher avec en arrière plan les Pyrénées blanches se découpant sur un océan bleu. Quand le cycliste pressé a l'impression d'aller vraiment vite, et qu'en plus, il doit être un peu crevé, il voit même un décors de cinéma où les plans bougent les uns devant les autres. Et alors là, je vous assure que, tel un petit chat qui traverse le jardin, la cité de Carcassonne qui s'élève tranquillement devant le panorama des Pyrénées, même Spielberg, il le fait pas.

 

Au final, j'arrive avec un quart d'heure de retard sur "l'heure fixé au départ plus un quart d'heure". Là, je ne me prends ni baffe, ni moue, ni grimace, mais un grand sourire en pleine tête, suivi de rires et d'exclamations. Je ne sais pas si c'est mon accoutrement, ma tête de déconfit, ou simplement la joie d'une personne qui fait ça, mais c'est une arrivée bien meilleure que n'importe quelle étape du Tour de France.

 

 

 

JALABERT

 

 
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Commentaires
L
J'ai bien ri. Vazypoupou ! comme disait ton père...<br /> <br /> Bisous mon neveu,<br /> <br /> Tantine
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J
Elles sont belles tes histoires, mon Nounou ! Va falloir que tu viennes les raconter de vive voix à ton neveu ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> <br /> Soeurette
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N
J'aime beaucoup le verbe, j'aime beaucoup le fond, j'aime beaucoup tes histoires mon copain.<br /> <br /> Par contre l'acide lactique a parfois l'aire d'aller dans le mauvais sens puisque tu le laisse dans les cols alors qu'on aurait plutôt dit que c'était le col qui te le mettait dans les cuisses!<br /> <br /> <br /> <br /> Cette impression de facilité à faire défiler la verdure que donne ton article donne envie de pas être un gros lard. Je vais peut être investir dans des "pédalauto".<br /> <br /> <br /> <br /> Bisou Copain.<br /> <br /> Nikroutt.
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El chico loco
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